Le mot « deuil » provient du terme latin « dolere » qui signifie « souffrir ».
Mais, le définir comme un « état affectif douloureux provoqué par la mort d’un être aimé » est bien trop réducteur. En effet, en français, le terme de « deuil » désigne plusieurs éléments :
—— ⤳ La tristesse profonde ressentie : « être en deuil »
—— ⤳ Les comportements mis en place : « porter le deuil »
—— ⤳ Le processus psychologique nécessaire : « faire son deuil »
Dans cet article, je vais surtout aborder la troisième façon d’employer ce terme.
✨ Le deuil peut désigner la perte d’une personne, d’un objet, mais il peut également désigner un changement brutal dans la vie ou dans l’état de santé.
Chacune de ces ruptures implique la mise en place d’un processus appelé travail de deuil.
L’emploie du mot « faire » sous-entend que tu dois consciemment effectuer un travail pour accepter la perte.
Quelques temps après, tu te questionnes : Ai-je fait le deuil ? Et si non, comment le faire ? Pour cela, on te parle de certaines étapes pas lesquelles tu devrais théoriquement passer, mais on ne dit jamais exactement ce que tu dois « faire » justement.
Dans cet article, je te parle des limites de ce modèle du deuil sous forme d’étapes, et je te propose plutôt un début de réponse à la question : Comment « faire » son deuil ?
Le deuil : un phénomène normal
Être en deuil est une expérience commune à tous mais bouleversante pour chacun.
Il n’y a aucun doute, être confronté à la mort fait souffrir psychiquement.
Mais, cette tristesse est :
—- ⤳ Normale : c’est son absence qui serait pathologique, selon Deutsch
—- ⤳ Nécessaire : elle permet à chaque personne de questionner le sens de sa vie
Or, nous supportons de moins en moins la souffrance provoquée par un deuil.
Elle est vécue comme anormale. Et, trop souvent, on tente de l’éviter par recours aux médicaments. Le deuil est alors pathologisé, il est vu comme une maladie mentale à traiter.
☝🏼 La psychanalyse a joué un rôle dans la pathologisation du deuil.
Longtemps, le texte « Deuil et Mélancolie » de Freud a été la référence en terme de deuil. Il y aborde la mélancolie, en s’appuyant sur le deuil comme modèle « normal » de cette pathologie dépressive. Ce parallèle a alors introduit un lien entre deuil et dépression.
Mais il est nécessaire de considérer que ce lien n’est pas systématique.
Le processus de deuil
Le processus de deuil est une dynamique involontaire qui s’enclenche naturellement dès le début du deuil. Le psychisme mobilise ses forces pour cicatriser la blessure de la perte, comme le ferait le corps dans la cicatrisation d’une blessure physique.
C’est un phénomène normal, bien qu’il puisse avoir, dans un premier temps, un aspect pathologique.
Les étapes du deuil
A quelques variations près, les auteurs s’accordent à reconnaître 3 grandes étapes dans le déroulement du deuil :
— ➛ un début : L’état de choc
— ➛ une période centrale : L’expression du chagrin
— ➛ un terme : L’achèvement du deuil
L’état de choc
Après l’annonce de la mort, la personne ressent une profonde douleur. Cette phase dure les jours qui suivent le décès. Les fonctions psychiques sont mise à l’arrêt, la personne subit des conséquences traumatiques telles que la sidération.
Les sentiments qui dominent sont la colère et l’angoisse. La personne se sent abandonnée par le défunt, elle trouve son départ injuste. Les pleurs sont alors une solution adaptée pour surmonter cet état. Néanmoins, ils ne permettent pas le deuil, seule la pensée le peut.
L’expression du chagrin
Cette phase dépressive est fondamentale dans le processus de deuil. La personne souffre de symptômes somatique, affectifs et intellectuels similaires à la dépression.
Durant cette phase, un processus psychique intense se met en place. La pensée se remet en marche. Peu à peu, la personne repense à tous les moments passés ensemble, aux souvenirs partagés, afin de les voir d’un nouvel oeil, de les investir différemment.
L’achèvement du deuil
Le deuil se termine lorsque la personne peut parler de son proche sans s’effondrer. La période dépressive s’estompe pour laisser place à un sentiment de liberté pour profiter de la vie, vécu au début avec culpabilité, puis progressivement accepté.
Cependant, la fin du deuil n’est pas l’oubli.
Après chaque deuil, la personne ne sera plus jamais comme avant.
Mais, cela n’est pas forcément négatif, elle peut sortir grandie suite aux épreuves traversées.
⚡️ Ces phases ont été mises en lien avec les stades psychologiques observés chez les patients en fin de vie, décrits par Kübler-Ross : déni, marchandage, colère, dépression et acceptation. Aujourd’hui, on décrit ces étapes comme les étapes du deuil, mais ce n’est pas dans ce cadre que l’auteur les a décrites. De plus, ce modèle est vivement critiqué pour son manque de preuves scientifiques.
Le deuil par étapes, vraiment ?
J’ai choisi de te parler ici d’un modèle très général des étapes du deuil, pour qu’elles conviennent à un maximum de situations.
Il existe d’autres modèles plus détaillés, mais ils présentent de nombreuses limites.
Ces modèles du deuil par étapes donnent l’illusion que le « travail du deuil » est un processus qui se déroule de manière linéaire et qui permet un retour à la normale, comme si rien ne s’était passé.
Le deuil est un apprentissage progressif de l’absence de l’autre. Mais, il n’est pas un déroulement linéaire d’étapes prévisibles, on peut plutôt le voir comme :
—– ⇨ une spirale qui tournoie sur elle-même, dans laquelle le processus se répète et comprend parfois des retours en arrière.
—– ⇨ des vagues qui vont et viennent en ressassant sans cesse la douleur, sans que la personne ne puisse s’y opposer.
✨ Ainsi, il n’y a pas d’étapes à passer les unes après les autres, mais plutôt des états qui peuvent varier en qualité et en quantité en fonction des individus.
Le travail de deuil
Le terme « travail de deuil » a été employé pour la première fois par Freud.
Le deuil serait une activité solitaire pour s’accommoder de la perte et surmonter la douleur, c’est-à-dire une démarche volontaire entreprise par la personne pour favoriser le bon déroulement du processus de deuil.
👉🏼 Freud explique que le travail de deuil renvoie à :
—- ⤳ la profonde tristesse
—- ⤳ l’incapacité de s’intéresser au monde
—- ⤳ l’envahissement par les souvenirs
Progressivement, ce travail doit aboutir au dénouement des liens qui attachaient la personne au disparu et à l’investissement de nouveaux intérêts.
👉🏼 Bowlby explique que dans le deuil, avant que la tristesse apparaisse, c’est l’anxiété de séparation qui se manifeste.
La personne souhaiterait maintenir les liens qui l’unissaient au défunt, ces liens perdurent même après le décès. Donc, il n’est pas forcément nécessaire de dénouer en totalité les liens au disparu, ils doivent être simplement modifiés.
C’est maintenant que je te donne quelques pistes pour faciliter ton travail de deuil !
Le travail de deuil répond à 4 tâches qui ont lieu simultanément sans ordre chronologique :
—– ⤳ admettre la réalité du décès
—– ⤳ accepter de vivre les émotions qui te traversent
—– ⤳ nourrir un lien avec la personne disparue
—– ⤳ cultiver un nouveau rapport au monde et aux autres
Admettre la réalité du décès
Une certaine sidération suit le décès. La prise de conscience n’est pas immédiate, tu es « sous le choc ». Néanmoins, pour débuter réellement le travail de deuil, tu dois reconnaître l’existence et la permanence de la perte. Cela peut prendre plusieurs semaines, voire plusieurs mois.
Admettre la perte ne signifie pas l’accepter, mais il s’agit d’arrêter de lutter contre la réalité pour se libérer de la douleur de la lutte.
Accepter de vivre les émotions
Dans le deuil, les émotions telles que le vécu dépressif, la colère ou la culpabilité, peuvent être violentes. Il est essentiel de les accueillir telles qu’elles sont et de ne surtout pas les refouler. L’expression de tes émotions permet de diminuer la charge émotionnelle et donc la douleur.
Les émotions peuvent donner une impression de répétition, une impression de ne pas avancer dans son deuil. Mais c’est faux, l’émotion est le langage de l’inconscient, qui travaille forcément vers le dépassement de la situation.
Nourrir un lien avec la personne disparue
Ton lien avec la personne décédée doit être maintenu mais d’une manière adaptée. Il s’agit d’un lien intérieur qui ne perturbe pas ta vie quotidienne. Il doit être lucide, c’est-à-dire prendre en compte la personne disparue dans ses défauts comme dans ses qualités.
Il se met en place avec du temps et à l’aide de rituels personnalisés. Ton proche n’est plus là dans la réalité mais il est présent dans ton psychisme.
🌸 Pour exprimer cette idée, je dis souvent qu’« une personne ne meure réellement que lorsque la dernière personne qui pense à elle meure à son tour ».
Cultiver un nouveau rappeler au monde et aux autres
Le deuil est une crise existentielle qui questionne la fragilité des choses et le sens de la vie.
Au cours du travail de deuil, tu pourras constater des changements très positifs chez toi, comme te trouver plus ouvert, plus mature, plus empathique, etc…
Tes liens aux autres seront changés, davantage orientés par l’amour et le partage que par ce que tu fais ou ce que tu possèdes. L’ultime but est de reprendre plaisir à vivre, de démarrer de nouveaux projets, sans culpabiliser.
Et donc, “faire son deuil”, ça veut dire quoi ?
A mon sens, cette formulation peut s’avérer très culpabilisante.
Pourtant, ce travail conscient et inconscient, demande du temps et de l’indulgence de la part de l’entourage et de la société.
L’expérience du deuil doit être vécue, transformée et dite.
Mettre en place les éléments que j’ai abordé plus haut restaure l’équilibre intérieur en répondant à une injonction paradoxale : oublier et se souvenir.
Il ne faut pas tomber dans l’écueil de psychologiser ou pathologiser le deuil, il n’y a rien de plus normal. Mais, il ne faut pas non le banaliser, il n’y a rien de plus douloureux.
« Faire son deuil » signifie donc fournir un effort pour réécrire une histoire de vie harmonieuse qui intègre les événements de vie douloureux.
💪🏼 Dans cet article, j’espère que tu auras pu trouver quelques idées pour surmonter ces épreuves douloureuses.
Si toi-même tu as des pistes de solution qui t’ont été utiles, tu peux les écrire en commentaire afin de soutenir chaque personne confrontée à la grande question : « Comment faire son deuil ? »
Bibliographie
Alain Bercovitz. Accompagner des personnes en deuil. Érès, 2004
Laurie Laufer. L’énigme du deuil. PUF, 2006
Marie-Frédérique Bacqué & Michel Hanus. Le deuil. PUF, 2020
Pascal Dreyer. Faut-il faire son deuil ?Perdre un être cher et vivre. Autrement, 2009
https://mieux-traverser-le-deuil.fr/