Pourquoi une victime de viol ne crie-t-elle pas toujours ?

Le 21 janvier 2021, le Sénat a voté la loi qui fixe un seuil d’âge de non-consentement à 13 ans.
Ainsi, tout majeur qui aurait une relation sexuelle avec un mineur de moins de 13 ans sera accusé de viol et puni de 20 ans de prison.
Cette loi a fait débat concernant l’âge. Beaucoup auraient préféré que ce dernier soit fixé à 15 ans, l’âge de la majorité sexuelle en France. Néanmoins, cette loi a le mérite de protéger les jeunes mineurs. La preuve du non consentement de l’enfant ne fera plus débat dans les tribunaux.

C’est justement ce qui m’a donné envie de rédiger cette article : Est ce qu’une victime de viol est entièrement capable de manifester son non-consentement ?


Qu’est ce qu’un viol ?

Le viol est un crime.
La loi le décrit comme « tout acte de pénétration de quelque nature que ce soit commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». S’il n’y a pas eu pénétration, il n’y a pas viol mais agression sexuelle.

Le viol fait donc partie des violences à caractère sexuel, c’est-à-dire des actes commis avec violence, contrainte, menace ou surprise.
En clair, il y a viol lorsque la victime n’a pas exprimé un consentement clair et explicite..

Il n’est pas nécessaire qu’il y ait des violences physiques pour qualifier un acte de viol.
La contrainte peut-être :
—-physique résulte de l’utilisation de la force de la part de l’agresseur.
—- morale résulte de l’autorité implicite ou explicite qu’exerce l’agresseur sur sa victime, par exemple un parent sur son enfant ou encore une supérieur hiérarchique sur un employé.
—- physiologique lorsque la victime est sous l’emprise de drogues ou vulnérable de par son état de santé.

💫 La connaissance de l’impact traumatique du viol est essentiel pour mieux lutter la culture du viol mais aussi pour mieux entendre et protéger les victimes.  

« La violence : une force faible »

Vladimir Jankélévitch

Qu’est ce que la culture du viol ?

Théoriquement, il semblerait que l’on soit tous d’accord pour dire que le viol, c’est mal ! Sauf qu’en pratique, beaucoup ajoutent des exceptions à cette évidence.
Le problème, c’est que ces exceptions sont l’un des symptômes de la culture du viol.

Ces exceptions sont principalement :
—–l’attitude de la victime qui « justifie » le viol
—–la réaction de la victime qui ne permet pas de « faire cesser » le viol
La conséquence est la même : la culpabilisation de la victime, c’est la victime qui est accusée et non l’agresseur.

En quelques chiffres, aujourd’hui, 4 français sur 10 estiment que :
– si la victime a été « provocante » en public, alors la responsabilité du violeur est atténuée.
– si l’on crie et que l’on se défend autant que l’on peut, alors l’agresseur va fuir.
La victime est coupable, de l’avoir bien cherché avec sa tenue ou de ne pas manifester son non-consentement.

STOP ! Une seule affirmation est vraie : « il impossible de prévoir la réaction d’une victime pendant un viol ». Si certaines résistent, beaucoup se retrouvent dans une incapacité de réagir.

En effet, tous les courants de psychologie s’accordent pour affirmer que ce qui fait traumatisme n’est pas l’évènement en tant que tel mais ce qu’il provoque dans le psychisme de la personne, en fonction de ses dispositions au moment où cela survient : « il n’y a de traumatisme que pour un individu donné, à un moment particulier de son histoire ».
Chaque victime réagira donc différemment à un même évènement.

💫 La culture du viol c’est la loi du silence.
Une victime de viol ne crie pas, ne parle pas, et il y a des explications sociales à cela.
Mais, ici, je vais te parler surtout des explications psychologiques de ce silence : l’impact traumatique.

La connaissance des mécanismes à l’oeuvre et la reconnaissance du vécu des victimes sont impératives.
Pour lever ces a priori absolument faux, il est donc indispensable de faire connaître l’impact traumatique des violences sexuelles sur la santé mentale et physique des victimes.


Quel est l’impact traumatique d’un viol ?

Le viol vient menacer la victime dans :
—– son intégrité physique : elle est confronté à l’éventualité de sa propre mort
—–son intégrité psychique : elle est confronté à une situation incompréhensible, dégradante, humiliante, injuste, incompréhensible
Il s’agit donc un traumatisme susceptible d’être à l’origine de mécanismes psychiques particuliers.

L’effraction psychique

Lorsque l’on évoque le traumatisme, il est tout d’abord essentiel de le différencier du stress.
Lebigot propose, pour cela, les deux schémas suivants :

Le cercle rose représente l’appareil psychique, et la flèche, l’événement qui survient.

Le stress

L’événement fait pression sur l’appareil psychique, l’écrase partiellement. Il se déforme sous la pression.

En cas de stress, l’appareil psychique est en souffrance, en raison de son écrasement. Il est « sous pression ».
Mais, il ne subit aucune effraction, rien de l’extérieur ne pénètre à l’intérieur.

Une fois l’évènement passé, le psychisme va peu à peu reprendre sa forme initiale.
La souffrance s’estompera alors en quelques heures, semaines, mois ou années.

Le trauma

L’évènement est une menace vitale qui survient par surprise. L’appareil psychique ne se déforme pas mais il est percé.

La représentation de cette menace vitale va pénétrer à l’intérieur de l’appareil psychique.
Elle va y faire effraction, le traumatisme va rester ancrer dans le psychisme sous la forme d’une image.

La disparition de l’événement n’aboutira pas à un retour à la normale.
L’image traumatique restera gravée et causera des perturbations du fonctionnement psychique pendant une très longue période.

Le traumatisme surgit par surprise, l’individu n’a pas pu l’anticiper et s’y préparer.
Il y a donc effraction psychique, la personne est débordée par l’évènement, elle n’a pas les capacités d’y faire face. La conséquence est une grande souffrance, que le psychisme va mettre des années à surmonter.

🧠 Les conséquences de cette effraction sont aussi neurobiologiques. Le système émotionnel est en survoltage, le cerveau va donc créer un court-circuit pour protéger la victime.
Clique ici pour en savoir plus…

Ces mécanismes neurobiologiques sont responsables de la sidération psychique et de la dissociation traumatique


La sidération psychique

Lorsqu’une personne subit une agression, son cerveau veut assurer sa survie. Deux solutions sont envisageables : « Fight or Flight », se battre ou fuir.
Il se prépare physiquement à réagir. Il produit donc une réaction de stress, il contracte les muscles, accélère le rythme cardiaque, augmente son attention, etc…

Mais, si l’agression présente un risque vital, alors le cerveau est saturé de stress.
Il prend alors une décision différente, il décide que les meilleures chances de survies sont l’absence totale de réaction. Au lieu de préparer la personne à réagir physiquement, il va alors produire des substances anesthésiantes.

🧠 Face à l’effraction psychique, l’amygdale va secréter une trop grande quantité d’hormones de stress : l’adrénaline et le cortisol.
Cela entraine un risque vital neurologique et cardiovasculaire. Pour éviter cela, la seule solution est de déconnecter l’amygdale par la sécrétion de morphine et de kétamine, de puissantes hormones anesthésiantes.

La victime est alors « shootée » : elle est déconnectée, anesthésiée physiquement et psychiquement. Les fonctions mentales et physiques sont bloquées.
Elle est paralysée, ne peut plus se défendre, crier ou bouger. Elle peut même éprouver des difficultés à penser, notamment à estimer le temps qui passe et à prendre la mesure des évènements.

La sidération va totalement empêcher la victime de réagir !
En plus de l’empêcher de crier, cela créé une grande culpabilité qui l’empêchera d’évoquer le viol par la suite.


La dissociation traumatique

L’anesthésie émotionnelle, décrite plus haut, conduit également la victime à un état dissociatif.
Privée de ses émotions, elle ressent un sentiment de déconnexion, comme si elle était spectatrice de la situation. La personne a l’impression de contempler la scène de l’extérieur, comme si ce n’était pas elle qui était en train de la vivre.

Elle a un sentiment de :
—-déréalisation : le monde extérieur lui semble étrange et irréel
—- dépersonnalisation : elle se sent étrangère à elle-même
La dissociation touche donc la victime elle-même et son environnement.

Elle apparait comme indifférente à ce que son agresseur lui fait subir, là encore, elle est privée de toute réaction !

Cette dissociation traumatique peut durer quelques minutes voire quelques heures. Mais elle peut également s’installer dans la durée et même devenir chronique. Dans ce cas, la dissociation va altérer :
⇨ les capacités relationnelles de la personne
⇨ l’expression de sa personnalité
⇨ ses possibilités de réagir face à d’autres dangers potentiels
Elle sera alors exposée à un grand risque de subir de nouvelles violences.

« Le traumatisme c’est comme une blessure, une blessure à l’âme. Il faut du temps pour consolider la cicatrice »

Tobie Nathan

Conclusion

Une victime ne crie pas pendant un viol et ne parle pas à posteriori de ce viol à cause de la culture du viol qui demeure trop présente dans notre société et, d’autre part, à cause de mécanismes psychologiques bien connus !

Les principaux effets psychologiques d’un traumatisme, tel que le viol, sont :
——l’effraction traumatique qui surprend la victime et la rend incapable de faire face
—— la sidération qui paralyse la victime et l’empêche de crier, de se débattre ou de fuir
—— la dissociation traumatique qui anesthésie la victime, l’empêchant de se rendre compte de ce qu’elle subit

Si ces mécanismes psychotraumatiques étaient mieux connus et pris en compte, alors la parole et les réactions des victimes ne seraient plus jugées, ni remises systématiquement en cause.
Les victimes seraient ENFIN reconnues et soutenues.

👊🏼 Grâce à cet article et à tous les autres qui traitent de ce sujet, j’espère qu’un jour plus PERSONNE ne remettra en cause la réaction ou la parole d’une victime.
L’espoir fait vivre… mais c’est pour ces causes que l’on fait ce métier !


Bibliographie

Cyril Tarquinio & Sébastien MontelLes psychotraumatismes. Histoire, concepts et applications. Dunod, 2014
Éric Baccino & Philippe BessolesVictime-Agresseur. Tome 1. Le traumatisme sexuel et ses devenirs. Champ social, 2001.
François LebigotTraiter les traumatismes psychiques. Clinique et prise en charge. Dunod, 2016.
Joanna SmithPsychothérapie de la dissociation et du trauma. Dunod, 2016.

Une réflexion au sujet de « Pourquoi une victime de viol ne crie-t-elle pas toujours ? »

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